Camille Prunet
“Faire Monde”, 2023
L’exposition « Faire monde » d’Emmanuelle Mason se ressaisit des conséquences du contexte écologique contemporain à travers la productions d’un ensemble d’oeuvres mais aussi de gestes. Ici, la sensibilité de l’artiste amène à nous confronter au sentiment de sidération produit par le contexte écologique actuel. Sidération, ainsi, devant l’ampleur du feu qui a ravagé La Teste de Buch dans le bassin d’Arcachon à l'été 2022. J’évoque La Teste de Buch car Emmanuelle Mason a produit des œuvres pour cette exposition après s’être rendue sur place. Environ 7 000 hectares de forêt ont brûlé à La Teste de Buch ; à l’échelle de l’Europe, 700 000 hectares de forêt ont disparu le même été. Ces chiffres, énormes, nous disent en réalité peu de choses. Ils ne traduisent rien de cette sidération de l’après-incendie. Car ce méga-feu du bassin d'Arcachon, nous le savons, cache une chaîne de feux et de catastrophes naturelles dont l’ampleur est impossible à saisir. Comment faire face à ces « hyperobjets » que sont le réchauffement climatique, la disparition des espèces, l’augmentation des catastrophes naturelles, ou encore l’épuisement des ressources en eau et en matières premières ? Les mots et les explications ne suffisent pas, on le sait, et les gestes comme les artefacts artistiques sont nécessaires à notre compréhension du monde en tension.
Parmi les œuvres produites pour l’exposition, Petit peuplement consiste en un ensemble de sculptures constituées de branches calcinées portant des traces d’or, qui ont été prélevées sur le site de La Teste de Buch à l’automne 2022. Sur ces branches qu’Emmanuelle Mason a suspendues, comme pour leur faire retrouver une dignité perdue, elle a apposé de l’or à certains endroits. Ce geste rappelle la pratique japonaise du kintsugi, qui consiste à réparer les objets brisées telles que des porcelaines, au moyen de laque saupoudrée d’or. L’objet connaît alors une deuxième vie qui intègre la cassure comme un moyen d’exister autrement. Le geste de réparation est aussi un geste de soin symbolique : mettre de l’or là où d’aucun ne verrait qu’un objet abîmé. Réparer donne aussi l’occasion de prendre le temps pour penser notre relation à cet objet. Les traces d’or contrastent avec le bois noir. Ses formes noires découpent l’espace, tracent des lignes sinueuses qui rappellent les nombreuses images d’arbres morts.